Quand Uber trafiquait son application pour échapper à la police


S’il est un phénomène qu’Uber veut éviter plus que tout, en ce milieu des années 2010, c’est de voir ses chauffeurs arrêtés par la police. C’est mauvais pour l’image et pour le business : cela coûte cher et décourage les conducteurs de proposer leurs services. Dans beaucoup de pays où tout ou partie des services d’Uber étaient considérés comme illégaux, une technique faisait florès parmi les autorités chargées de faire respecter la loi : se faire passer pour un client, commander une course et cueillir le chauffeur à son arrivée. En réponse, l’entreprise a développé des procédures internes et des outils spécifiques censés repérer les membres des forces de l’ordre et leur présenter une version altérée de l’application de manière qu’il leur soit impossible de réserver un trajet.

Ces méthodes, désignées en interne sous le terme de « Greyball », ont été révélées par une enquête du New York Times en 2017. « Nous avons cessé d’utiliser ces outils en 2017 lorsque Dara Khosrowshahi est devenu PDG et, comme nous l’avons dit à plusieurs reprises, ils n’auraient jamais dû être utilisés. Nous avons coopéré avec toutes les enquêtes sur l’utilisation de ces outils. A notre connaissance, toutes sont closes ou ne sont plus actives, sans constatation d’actes répréhensibles », a répondu Uber, sollicité par les journalistes des « Uber Files ».

« Uber Files », une enquête internationale

« Uber Files » est une enquête reposant sur des milliers de documents internes à Uber adressés par une source anonyme au quotidien britannique The Guardian, et transmis au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et à 42 médias partenaires, dont Le Monde.

Courriels, présentations, comptes rendus de réunion… Ces 124 000 documents, datés de 2013 à 2017, offrent une plongée rare dans les arcanes d’une start-up qui cherchait alors à s’implanter dans les métropoles du monde entier malgré un contexte réglementaire défavorable. Ils détaillent la manière dont Uber a utilisé, en France comme ailleurs, toutes les ficelles du lobbying pour tenter de faire évoluer la loi à son avantage.

Les « Uber Files » révèlent aussi comment le groupe californien, déterminé à s’imposer par le fait accompli et, au besoin, en opérant dans l’illégalité, a mis en œuvre des pratiques jouant volontairement avec les limites de la loi, ou pouvant s’apparenter à de l’obstruction judiciaire face aux enquêtes dont il faisait l’objet.

Retrouvez tous nos articles de l’enquête « Uber Files »

L’enquête du Monde et de ses partenaires permet toutefois de documenter l’usage de ce dispositif dans de nouveaux pays. Elle montre aussi à quel point cet outil tenait une place prépondérante et usuelle dans l’arsenal d’Uber face aux autorités.

C’est le cas par exemple en Belgique, où les équipes locales ont si bien perfectionné leurs techniques qu’elles les ont présentées lors d’un séminaire interne. Première étape : identifier les utilisateurs suspects. Il faut d’abord passer au peigne fin toutes les courses qui ont abouti à l’arrestation d’un chauffeur et noter « le chauffeur, le client, le lieu de départ, le lieu d’arrivée, la date et l’heure d’enregistrement du client » afin de trouver des « motifs récurrents ». Les équipes bruxelloises ont même développé un algorithme spécifique pour évaluer le risque que les chauffeurs aient affaire à des représentants des forces de l’ordre.

Enfin, il faut vérifier tous les utilisateurs d’Uber qui ont ouvert l’application à proximité d’un commissariat de police. Une fois les profils « à risque » repérés s’engage une deuxième étape : faire en sorte que ces derniers ne puissent pas commander de véhicules. Si des interpellations leur sont rapportées, les équipes d’Uber peuvent aussi délimiter une zone géographique dans laquelle il devient impossible de commander un véhicule.

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Catégorie article Politique

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